Courchevel est un havre pour Bernard Arnault, presque une madeleine de Proust. Selon la légende familiale, le président-directeur général (PDG) de LVMH, 74 ans, aurait appris à skier, enfant, sur les pistes de la célèbre station savoyarde. Ce repaire à milliardaires, où le prix d’une nuit d’hôtel peut se négocier en dizaines de milliers d’euros, représente surtout un actif de premier plan dans le portefeuille immobilier de l’homme le plus riche du monde – titre que lui dispute, au gré des variations boursières, le fondateur de Tesla, Elon Musk. Le Français possède dans la cité alpine un palace, le Cheval Blanc, et un hôtel de standing, le White 1921. Il s’y prête aussi à des opérations immobilières suffisamment complexes pour attirer l’attention de la justice.
Selon nos informations, le parquet de Paris s’intéresse en effet à une discrète partie de Monopoly jouée par Bernard Arnault, en 2018, en compagnie de l’oligarque russe Nikolaï Sarkisov. Un milliardaire de 55 ans, qui a fait fortune grâce à sa compagnie d’assurances Reso-Garantia. Cette dernière est surtout connue en France pour avoir signé, en 2019, un contrat de conseil d’une valeur de 3 millions d’euros avec Nicolas Sarkozy, qui vaut à l’ancien chef de l’Etat une enquête du Parquet national financier pour « trafic d’influence » et « blanchiment de crime ou de délit ».
En décembre 2022, Tracfin, la cellule française de renseignement financier, transmet une note au parquet de Lyon au sujet de MM. Arnault et Sarkisov. Le document, que Le Monde a pu consulter, répertorie des opérations « susceptibles de caractériser des faits de blanchiment » de capitaux. Les magistrats lyonnais se dessaisissent rapidement du dossier au profit du parquet de Paris, qui a demandé aux policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière d’étudier l’affaire. Ce signalement a été joint à une enquête préliminaire plus large ouverte quelques mois auparavant, au premier trimestre 2022, contre M. Sarkisov, pour blanchiment présumé. Contacté, le parquet de Paris n’a pas souhaité commenter l’information.
Biens payés deux fois
L’histoire se déroule à l’automne 2018, sur les hauteurs de Courchevel. En quelques semaines, le Russe acquiert auprès de particuliers quatorze biens immobiliers au sein du Jardin Alpin, un quartier huppé de la station, où s’alignent les enseignes de luxe. Le montant de ces opérations, réparties entre octobre et décembre 2018, se chiffre à 16 millions d’euros.
Complexes, ces dernières ont été effectuées, rapporte Tracfin, à travers un montage de sociétés en France, au Luxembourg et à Chypre. Le nom de Nikolaï Sarkisov n’apparaît pas dans les statuts de l’acquéreur officiel des biens, la société en nom collectif (SNC) La Flèche. Il en était pourtant, à l’époque, le détenteur effectif. L’intéressé est en effet décrit par Tracfin comme « l’actionnaire unique » de la société chypriote Arrowband limited. Or, cette dernière possédait l’ensemble des parts de la société luxembourgeoise Letman SA, qui elle-même détenait les sociétés MAS Pascati (Luxembourg) et Constant SA (France), toutes deux propriétaires de la SNC La Flèche… L’acheteur initial.
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